«La majorité a toujours raison, mais la raison a bien rarement la majorité aux élections». Jean Mistler, extrait de : Bon Poids.
Les Québécois iront aux urnes le 4 septembre prochain et ils tenteront de porter au pouvoir le moins pire des trois principaux partis qui se font la lutte. Bon, même s'il livre une bonne campagne pour sa formation politique, le premier ministre sortant, Jean Charest, prend de plus en plus de retard dans la course électorale. Il en est pratiquement réduit à tenter de sauver les meubles, c'est-à-dire à préserver les comtés habituellement assurés aux rouges. Mais malgré tous ses efforts, même la clientèle électorale, qui lui est normalement acquise, lorgne du côté de la Coalition Avenir Québec (CAQ) dirigée par François Legault. Il faut dire que Charest et son parti Libéral avaient déjà trois prises contre eux (pour utiliser une populaire analogie avec le base-ball) dès le déclenchement des élections provinciales. D'abord, l'usure de neuf ans passés à la direction de l'État. Ensuite, les lourdes allégations de corruption qui pèsent sur eux. Enfin, le fait de convoquer les électeurs aux boîtes de scrutin avant que la Commission Charbonneau reprenne ses travaux (à la mi-septembre) et les mette encore plus dans l'embarras par des révélations gênantes au sujet de leur copinage avec des corrupteurs, et le financement de leur caisse électorale avec de l'argent sale... Cette combine électorale est lâche et elle a sûrement dégoûté bien des Québécois. Résultat ? Monsieur Charest va probablement connaître l'humiliation d'être battu dans son comté de Sherbrooke malgré les vaillants efforts de sa conjointe, Michèle Dionne (surnommée Michou), qui fait campagne à sa place, quand il est ailleurs au Québec pour courtiser les électeurs.
Perdre dans sa circonscription : voilà à quel point le peuple en a ras-le-bol de Charest, et de son administration. Le fait que neuf de ses ministres aient démissionné ou aient choisi de ne pas briguer de nouveau les suffrages, démontre aussi que le chien de Charest est mort depuis déjà un bout de temps. L'attitude désinvolte du premier ministre lors des grèves étudiantes du printemps passé, a achevé de couler le bateau libéral. Sa farce d'imbécile quand les étudiants manifestaient aux portes d'un congrès sur le Plan Nord (il a dit en riant qu'il leur trouverait des emplois dans le Nord) a jeté de l'huile sur le feu et a provoqué inutilement les grévistes.
Mais en tenant l'élection avant la reprise de la Commission Charbonneau, les Libéraux évitent peut-être aussi le pire, soit le même sort qu'ont connu leurs grands frères du Parti Libéral Fédéral, une quasi-disparition de la scène politique à cause du scandale des commandites. Les erreurs et les maladresses de leurs rivaux péquistes et caquistes, durant la campagne électorale en cours, va possiblement les aider également à ne pas tout perdre.
La CAQ et son chef François Legault ont connu un bon début de campagne. En présentant quelques candidats vedettes ainsi qu'un programme audacieux, le leader du nouveau parti, né d'un regroupement de candidats de la défunte Action Démocratique du Québec (ADQ) et de personnes déçus des autres formations politiques, (sans oublier non plus des opportunistes) a fait flèche de tout bois. Mais au fur et à mesure du déroulement de la campagne, Legault et quelques autres ténors de la CAQ ont fait des déclarations malheureuses contre les femmes (rappelons sa plaisanterie douteuse au sujet de son idée de devoir peut-être porter de plus belles "cravates" pour attirer le vote féminin), contre les jeunes, qui ne travaillent pas assez fort, contre les syndicats, qu'il veut "acheter" en retour des coupures qu'il veut faire dans les rangs de leurs membres. Le pari de la CAQ d'assurer un médecin de famille à tous les Québécois dès la première année d'un hypothétique premier mandat, sème également beaucoup de scepticisme parmi la population. C'est aussi le cas des projets caquistes d'abolir les agences de santé et les commissions scolaires. Par surcroît, payer plus cher les médecins et les professeurs attiserait certainement l'envie des autres catégories de travailleurs de l'État, qui demanderaient aussi des hausses salariales lors du renouvellement de leurs conventions collectives. Mais, Legault et sa bande ont réussi, malgré leurs propositions pas mal irréalistes, à incarner le changement face aux vieux partis et en se faisant rapidement connaître à l'électorat. Comme la majorité des politiciens qui veulent s'imposer, Legault a ressorti la vieille mais éprouvée formule du changement. "Changer pour changer". Comme Obama, aux États, il y a quatre ans. Legault lui a même emprunté son fameux YES WE CAN.
Même si l'expérience du pouvoir, ainsi que celle de parti d'opposition officielle, leur fait défaut, les caquistes retournent cette carence à leur avantage en affirmant qu'ils sont "propres" et qu'ils ne doivent rien à personne. C'est le "tout nouveau, tout beau", en se donnant une image de monsieur Net qui va faire le ménage. Petit à petit, la CAQ et son chef, tout à fait "premier ministrable", gagnent la confiance des électeurs. De ceux qui répugnent à voter pour un parti libéral usé et corrompu, ou pour les séparatistes péquistes qui menacent la cote de crédit de la province avec leurs référendums sectoriels à répétition.
En tête dans les sondages depuis le lancement de la campagne électorale, "grand-maman" Marois pensait cueillir le pouvoir comme un fruit mûr, comme ce fut le cas pour Charest en 2003. Depuis trente ans, la règle "naturelle" de l'alternance redonne tour à tour le "volant" de l'État aux deux vieux partis. Quand les gens sont écoeurées du PLQ, ils élisent le P.Q., et vice versa. Ce n'est jamais le parti de l'opposition qui gagne les élections, c'est toujours le parti au pouvoir qui les perd. Il suffit d'être patients, de ne pas faire de gaffes et de capitaliser sur les mauvais coups des adversaires. C'est la stratégie qu'a adoptée Pauline Marois et ses sbires depuis le début de la campagne. Ménager les susceptibilités de sa clientèle et de ses alliés traditionnels, ne pas faire trop de promesses sauf celle de prendre soin des Québécois, comme une bonne grand-maman. Copier aussi un peu le président Hollande en France en projetant une image de "rassembleur". Sauf que ça ne fonctionne pas tellement pour elle. Dans les sondages, madame Marois arrive au 3e rang quand on demande qui ferait le meilleur premier ministre. Se classer derrière Charest, faut le faire ! Même si elle travaille d'arrache-pied afin de faire oublier son statut ou son image de "bourgeoise", elle ne parvient pas à passer pour une femme proche du peuple. La stratégie référendaire du PQ est aussi une aiguille dans le talon de mamie Pauline. Personne ne comprend cette histoire confuse de référendums d'initiatives populaires (RIP). Les péquistes eux-mêmes semblent aussi impuissants à démêler cet écheveau inextricable. C'est leur marque de commerce. Rappelez-vous des questions référendaires emberlificotées en 1980 et en 1995. Le PQ aurait intérêt à imiter Stéphane Dion et à se doter d'une loi sur la clarté de la question référendaire ! À moins que le PQ veuille continuer de berner les Québécois en proposant une sorte de souveraineté-association-qui-n'est-pas-tout-à-fait-l'indépendance-mais-quelque-chose-comme-une-inter-dépendance-libre-en-gardant-l'argent-et-le-passe-port-canadiens-pis-d'autres-machins-trucs-itou...
Il ne faut pas négliger les tiers partis, surtout Québec Solidaire. La belle performance de sa co-porte-parole, Françoise David, au premier débat des chefs, a fait connaître le parti à un plus large public. Si bien que madame Marois voit, avec horreur, le danger que Québec Solidaire gruge une partie du vote péquiste. Cette division du vote, surtout sur l'île de Montréal, pourrait causer sa défaite ou l'empêcher de former un gouvernement majoritaire.
Moi, en tout cas, je trouve qu'aucun des partis en lice n'est digne de diriger le Québec. Les uns sont confus, les autres sont corrompus ou manquent de crédibilité. J'annonce donc que, comme bien du monde, je voterai sur l'image. La belle image de Michou, que je trouve bien à mon goût. Sur mon bulletin de vote, je vais ajouter son nom en dessinant un coeur à côté. Pis je vais faire une belle croix dedans ! Michou pour présidente !
«Les élections, ce n'est que de la poudre aux yeux. Les partis changent, mais à l'intérieur, derrière les portes fermées, ils s'entendent et distribuent des rôles». Alice Parizeau, extrait de : Blizzard sur Québec.
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