dimanche 22 mai 2022

LES FEMEN CONTRE POUTINE ET LA GUERRE EN UKRAINE.

La guerre en Ukraine monopolise les nouvelles internationales un peu partout dans le monde.  Tous les médias en parlent abondamment et, étrangement, nous nous sentons tous concernés, contrairement à d'autres guerres qui font rage, ou qui ont fait rage, il n'y a pas si longtemps.  On pense à la Syrie, à l'Afghanistan, ou à l'Irak...

Il ne faut pas se leurrer, si nous nous sentons concernés c'est parce que, en fait, le peuple ukrainien nous ressemble davantage, et que nous sommes nous aussi en guerre avec la Russie.  En effet, la plupart des grands pays occidentaux fournissent d'énormes capitaux et des armes à l'Ukraine pour l'aider à repousser les agresseurs russes.  Sans envoyer de troupes sur le terrain, c'est néanmoins une forme de participation à la guerre déclenchée par la Russie.  Des manifestations en soutien au peuple ukrainien et contre la guerre de Poutine se tiennent à bien des endroits en Occident.  C'est aussi une forme de participation à ce conflit.














L'une de ces manifs a eu lieu à Paris, devant la Tour Eiffel, le 6 mars.  Elle a été faite par les FEMEN, ce mouvement féministe radical né à Kiev en Ukraine, en 2008.  Reconnues mondialement, surtout à cause de leur mode d'action qui consiste à faire des coups d'éclat en arborant publiquement leurs slogans antisexistes ou anti-discriminations sur leur poitrine dénudée, les FEMEN n'allaient pas raté une nouvelle occasion de dénoncer Vladimir Poutine et sa sale guerre.

Car Poutine est un vieil ennemi contre qui elles ont réalisé plusieurs actions afin de condamner sa dictature anti-démocratique.  Le 6 mars, elles ont ajouté «criminel de guerre» à leurs nombreux griefs contre le président de la Russie.

À leurs débuts, pendant deux ans, en Ukraine, les FEMEN ne protestent pas seins nus en public contre l'industrie du sexe, contre les dictatures d'extrême droite, et contre les institutions religieuses, leurs principaux chevaux de bataille.  Ces jeunes contestataires, la plupart sont des universitaires d'une vingtaine d'années, militent aussi pour changer la mentalité des femmes de leur pays.  Des compatriotes qu'elles jugent trop soumises et dépendantes de leur mari.

Elles en ont surtout contre la prostitution qui a envahi leur pays.  «L'Ukraine n'est pas un bordel !» crient-elles en brandissant le poing.  Ces premières FEMEN portent des tee-shirts lorsqu'elles font des mises en scène théâtrales pour faire valoir leurs revendications.  Elles n'attirent guère l'attention, surtout pas celle des médias d'information.

La situation change du tout au tout lorsque, possiblement inspirées par le groupe PETA, -des Européennes occidentales qui militent contre les mauvais traitements infligés aux animaux-, une vingtaine de FEMEN ont décidé de faire comme certaines femmes de cette association et de manifester en sous-vêtements, puis seins nus, l'année suivante (2009).

Sur leur poitrine dénudée s'affichent des slogans provocateurs, écrits généralement avec de la peinture bleue et jaune, aux couleurs du drapeau de leur pays, tout comme les fleurs qui couronnent leur tête.  Aussitôt, les photographes de presse et les journalistes accourent de partout pour couvrir leurs activités.  C'est la folie !  

Une militante féministe, Anna Toumazoff explique ce phénomène par le sexisme ou le voyeurisme des hommes : «Les hommes, on les écoute, les femmes, on les regarde.»  Ces hommes qui reluquent le corps des femmes qu'ils «déshabillent du regard» et réduisent à l'état d'objet sexuel, avec des commentaires libidineux.  Si les FEMEN s'assurent d'attirer le regard des hommes en montrant leurs seins nus, elles le font pour des raisons politiques.  Elles veulent être certaines que ces messieurs du patriarcat, -qu'elles veulent détruire-, prennent connaissance de leurs messages antisexistes.


Mais à la fin de la décennie 2000-2010, lorsqu'elles osent s'opposer, par des moyens jugés trop radicaux, au dictateur Alexandre Loukachenko, président de la Biélorussie; et qu'elles soutiennent publiquement leurs «soeurs» des Pussy Riot, condamnées à deux ans de camp d'internement, en Russie; les FEMEN ukrainiennes sont persécutées et menacées de mort dans leur pays.  On ne fait pas, et on ne dit pas ce que l'on veut, dans un pays postsoviétique, où le féminisme est interdit, tout comme la liberté d'expression.  Au début des années 2010, les FEMEN doivent s'exiler en France, où on les accueille en tant que réfugiées politiques.

Elles sont peu nombreuses, une vingtaine, maintenant à Paris, où elles opèrent dans la quasi-clandestinité, puisqu'elles sont toujours menacées par l'extrême droite et la répression policière du système judiciaire.  Ce dernier condamnant leur exhibitionnisme et leur atteinte à la moralité parce qu'elles montrent leurs seins nus en public.  Être une FEMEN c'est s'attendre à se retrouver parfois en gardes à vue ou à passer des nuits en prison.  En plus d'endurer des procédures judiciaires qui durent des mois, parfois des années.

Comme ce fut le cas de la FEMEN Québécoise Neda Topaloski qui, en 2015, après avoir manifesté seins nus sur une voiture de course, avant le Grand Prix de Formule 1 de Montréal, -un évènement reconnu pour attirer le tourisme sexuel-, a été arrêtée et citée à procès.  Elle a dû patienter pendant deux années, à travers de longues procédures tatillonnes, avant d'être finalement acquittée.

En 2012, toujours au Québec, lors du «printemps érable des carrés rouges», des étudiantes grévistes avaient même employé la tactique «choc» des seins nus des FEMEN pour manifester dans les rues, contre l'augmentation des droits de scolarité que voulait imposer le gouvernement Charest. (https://mourialmetropauvrevsquebeccapitale.blogspot.com/2012/06/ch-au-dernier-rang-et-tintamarres-des.html)   

Outre leur manifestation contre la guerre de Poutine en Ukraine, les FEMEN ont récemment protesté contre les féminicides en France.  Lors de la dernière élection présidentielle française, une de ces activistes a tenté de monter sur la tribune où Marine Le Pen, chef du Rassemblement Nationale (Extrême Droite) prononçait un discours, qui a été temporairement interrompu.

Les FEMEN ont également manifesté leur appui au mouvement Me Too, elles ont dénoncé le droit non respecté à l'avortement, le tourisme sexuel, la justice trop clémente pour les violeurs de femmes, la discrimination de la femme dans l'Église catholique, et la condition déplorable des femmes dans les régimes islamistes.

Il n'y a plus qu'une Ukrainienne parmi elles, une doyenne du mouvement, Inna Shevchenko, 31 ans, native de Kherson, où se trouve toujours sa famille.  Madame Shevchenko a été arrêtée à Minsk (Bélarus) en décembre 2011, après une manifestation contre Loukachenko.  On lui a fait passer un mauvais quart d'heure lors d'un interrogatoire au cours duquel on l'a insultée et frappée, avant de la relâcher en pleine forêt.

Pour sa sécurité, et parce que les FEMEN se sont attirées les foudres d'une grande partie de la population ukrainienne et du peuple russe qui condamnent leur radicalisme et demandent aux autorités politiques d'abolir leur mouvement, Shevchenko se résigne à prendre l'exil en France en 2013.

Menacées d'emprisonnement et de plus en plus persécutées en Europe de l'Est, beaucoup de FEMEN la suivront.  Sur place, elles ont organisé un camp d'entraînement pour la formation de leurs membres.  Elles financent leurs activités en vendant des tee-shirts, en donnant des conférences, ou en recueillant l'argent de petits donateurs.  Elles veulent former des femmes afin qu'elles deviennent des combattantes pour la cause féministe à travers le monde.

Inna Shevchenko est maintenant connue mondialement, et elle profite de sa renommée pour informer un large public sur ce qui se passe présentement dans son pays natal.




Elle est très active sur les réseaux sociaux.  Elle dénonce les massacres de civils et d'enfants ukrainiens, et les multiples viols commis par les soldats russes.  Elle fait de fréquentes déclarations pour déplorer que les démocraties occidentales en font encore trop peu pour aider les siens à défaire et à chasser les forces militaires de Poutine qui ont envahi illégalement son pays natal.

Les FEMEN s'insurgent aussi contre le sort qui attend trop souvent les réfugiées qui ont fui l'Ukraine.  Épuisées, dépourvues de tout, désespérées, ayant souvent des enfants à charge, des femmes ukrainiennes se retrouvent dans des pays étrangers où elles sont parfois recueillies par des hommes qui les hébergent, les nourrissent, et les exploitent en échange de services sexuels et/ou en les contraignant à des travaux forcés.

Il se fait même du trafic humain quand certaines Ukrainiennes exilées sont vendues comme de la vulgaire marchandise ou qu'elles doivent se prostituer, y compris sur des sites pornographiques.    

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L'opinion publique est divisée au sujet des FEMEN : on les approuve, parfois avec un certain sourire; ou, au contraire, elles choquent parce qu'on leur reproche leur radicalisme, et parce qu'on estime qu'en se dénudant, elles passent pour des objets sexuels, une tare contre laquelle elles disent pourtant lutter.

Mais au final, les militantes sont convaincues, ou, du moins, elles espèrent, que les gens iront au-delà du «spectacle» de leur nudité pour réfléchir et se conscientiser à propos de ce qu'elles dénoncent.