vendredi 4 mai 2012

DÉBAT ENTRE SARKOZY ET HOLLANDE : QUELQUES MOTS DE TROP DU PRÉSIDENT SORTANT.


Les Français trouvent souvent les Québécois rigolos "avec leur accent" et leur façon pittoresque de s'exprimer. Les "cousins", qu'est-ce qu'ils sont marrants et "sympa", s'empressent-ils d'ajouter, d'un ton plutôt condescendant, lorsqu'ils rencontrent des gens du Québec, leur ancienne colonie d'Amérique. Ce qu'ils ignorent peut-être, c'est que c'est réciproque. Les Québécois se bidonnent tout autant en observant les "maudits français". À commencer par leur président, Nicolas Sarkozy, qui fait sourire et rire par ses emportements, ses coups de gueule, ses tics nerveux, ses excès d'orgueil et ses abus de pouvoir (comme en témoigne la photo ci-dessus !). Un peu comme des membres de la parenté qui se tapent un peu sur les nerfs mais qui, dans le fond, s'aiment bien quand même, on se montre curieux et on tient à garder un oeil sur ce qui se passe de part et d'autre, des deux côtés de l'Atlantique. C'est ainsi que, histoire de me mettre à jour sur ce qui se passe en France, je ne voulais pas manquer le débat télévisé de mercredi soir entre Sarkozy et Hollande, avec à l'enjeu la présidence du pays de nos ancêtres pour les cinq prochaines années.

La joute oratoire que ce sont livrée les deux candidats à l'élection présidentielle de dimanche prochain a été franchement intéressante. J'ai trouvé que, tactiquement, le candidat de la Gauche a été très habile. Forçant constamment le président sortant à défendre son bilan (ce que monsieur Sarkozy a fait vigoureusement), François Hollande ne lui a guère laissé le loisir de nous faire découvrir son programme pour l'avenir. L'impression que cette stratégie a laissé dans l'esprit des 17 millions de téléspectateurs, c'est que c'est le candidat socialiste qui incarne le renouveau et le changement face à la situation difficile dans laquelle se retrouve l'état français.



Au fond, monsieur Hollande a dit ce que les Français voulaient entendre. Ce qui est un gage de succès pour convaincre le public et gagner une élection. Lucide et conscient des lourdes responsabilités qui l'attendent s'il devient président de la République, il n'a pas caché que le peuple de France devra vivre une période d'austérité avant d'espérer se sortir de la crise dans laquelle toute l'Europe est plongée. Droite et Gauche ont leurs partisans indéfectibles. Pour gagner l'élection il faut faire voter en sa faveur les centristes et les indécis. C'est pourquoi monsieur Hollande a joué la carte du candidat du rassemblement, de la mobilisation de tous les Français, de la justice sociale et fiscale, du redressement économique. Bien sûr il faut diminuer les dépenses de l'État face à l'hydre de la crise des dettes souveraines. Mais l'adversaire du président a souligné que, à trop vouloir couper dans des services comme l'éducation et la gendarmerie, on augmente le chômage, ce qui, à son tour, a des conséquences néfastes sur la consommation et la croissance économique. Si tous les gouvernements font des coupures drastiques au même moment, on est pas plus avancé et on peut même retourner en récession.

Plus que les guerres de chiffres et d'argumentation, qui sont assez complexes et qui ont pu rebuter plusieurs téléspectateurs, c'est la personnalité des deux chefs qui est ressortie lors de ce duel assez corsé. C'est d'ailleurs souvent le cas. À les entendre s'accuser de dire des faussetés ou des demi-vérités, on en vient à douter nous-mêmes de leurs paroles. Restent alors des impressions, une image, un sentiment qui persistent après avoir entendu et vu les deux hommes se disputer la faveur du public. Moi, qui, comme canadien, est plutôt neutre dans cette bataille présidentielle, j'ai d'abord été impressionné de voir Sarkozy défendre si âprement son quinquennat. Il possède bien ses dossiers, ce qui est un peu normal pour un président en exercice. Mais c'est le ton qu'il a employé qui m'a déplu, au fur et à mesure que le débat de deux heures 45 minutes avançait. Pourquoi a-t-il été si désagréable avec son interlocuteur ? On veut bien croire qu'il devait être agressif puisque les sondages le donnent perdant, quelques jours avant l'élection, mais il a exagéré.

Mais, ce faisant, en adoptant une attitude belliqueuse et parfois mesquine, il ne s'est pas rendu service. En traitant son adversaire de menteur (à plusieurs reprises), de "petit calomniateur", et de Ponce Pilate, monsieur Sarkozy n'a pas élevé le niveau du débat. Bien au contraire. Ces mots ne sont pas dignes d'un chef d'état. Sarko a dépassé les bornes de l'acceptable et du fair play. En fait, dans ces écarts de langage et ces excès de combativité, on a bien reconnu le Sarkozy colérique et cassant dont se sont tant inspirés les humoristes. On a revu le Sarkozy "casse-toi pauvre con" qui a fait le tour de la planète via YouTube. Un Sarkozy pas très populiste, pas près des gens humbles du peuple. Curieusement, avant son élection en 2007, cette agressivité de "coq" français a pu contribué à le faire élire. Aujourd'hui elle lui nuit. Hollande a bien exploité ces défauts ou les perceptions négatives qui minent maintenant l'image du candidat de la Droite.

Pour moi, le point tournant du débat a été la fameuse tirade de trois minutes de François Hollande au cours de laquelle il a amorcé une quinzaine de phrases assassines par les mots "Moi, président de la République je...". En brossant un éloquent portrait du style de président qu'il serait, il a visé chaque fois un point faible de son opposant. Des coups bien placés et des arguments pertinents qui ont atteint la cible et qui me font croire que Sarkozy est cuit. Avec des formules frappantes comme "Sarkozy président de tout, responsable de rien", monsieur Hollande a frappé les esprits et emporter leur adhésion à sa cause. Le délicat point concernant le financement amoral de la caisse électorale du parti du président, a été une attaque durement ressentie par celui-ci. Même chose pour le favoritisme dont aurait fait preuve le candidat de la Droite à l'égard de ses amis ou des amis du pouvoir. Que ces assertions soient vraies ou pas, elles ont semé le doute dans les esprits des électeurs. Et qui dit doute dit manque de confiance. Un manque de confiance qui causera vraisemblablement la perte de Sarko.

Bien sûr, au Québec comme en France et dans beaucoup d'autres états démocratiques, c'est le gouvernement qui perd une élection. Ce n'est pas l'opposition qui la gagne. Surtout lorsque la conjoncture économique est cauchemardesque comme elle l'a été dernièrement. C'est bien connu : le pouvoir use et corrompt. Contrairement au président américain, Barack Obama, dont la réélection cette année semble assurée, parce que son adversaire républicain ne semble pas de taille à l'affronter, le président Sarkozy n'aura pas ce luxe devant le très "présidentiable" François Hollande. Ce dernier prend bien soin de ne rien brusquer, de ne pas s'aliéner le vote ethnique (son approche des problèmes d'immigration est plus "douce") et de capitaliser sur les points faibles de son rival. Il apparaît plus ouvert et conciliant. Il est plutôt détendu et positif, et il ne semble pas assoiffé de pouvoir comme son via-à-vis. Les politiciens sont des illusionnistes et, dans cette élection, Hollande, qui ne peut que recueillir des applaudissements (et des votes) du peuple lorsqu'il martèle qu'il fera payer les riches, semble le mieux placé pour faire croire qu'il saura améliorer le sort des Français en prenant en main leur destinée à titre de prochain président de la République.

Les places boursières mondiales ont subi un coup à la baisse il y a quelques jours, face à la perspective que la Gauche s'empare du pouvoir en France. Il n'est pas impossible que l'incertitude liée à cette présumée victoire de monsieur Hollande se fasse sentir encore sur les marchés boursiers. Mais une victoire de la Gauche n'est pas un précédent et ce n'est pas non plus la fin du monde. Les effets négatifs sur les places financières devraient n'être que temporaires...