mercredi 25 août 2010

«LA BARBARIE PLUTÔT QUE L'ENNUI» - Théophile Gautier


«Mieux vaut être fou avec tous que sage tout seul.»
Baltasar Gracian Y Morales

La folie gagne, on dirait. Du moins sur nos routes. De plus en plus de cas de rage au volant. Des cyclistes intimidés, menacés, frappés, tués par des automobilistes. Des piétons indisciplinés, fauchés par tout ce qui roule à moteur ou à vélo. La grosse mode est à la désobéissance civile. «Moi je suis spécial et je n'ai pas de temps à perdre. Rien ni personne ne m'arrêtera. Je suis au-dessus des lois et des règlements. Je veux faire ce que je veux et quand je le veux. La route m'appartient. Tassez-vous de là ! Fuck you all.»

Évidemment, ce credo individualiste et libertaire se heurte à ce que l'on appelle les agents de la paix ou les forces de l'ordre, chargés de faire appliquer les lois au nom de la justice et du droit commun. À moins qu'ils n'arrivent trop tard, une fois que des accidents criminels ont coûté la vie à d'innocentes victimes. Frustrés par leur soif inassouvie d'anarchie couvant un désir de toute-puissance vestige d'un vieux fond de brutalité animale, nos hors-la-loi trouvent de plus en plus un exutoire dans des loisirs violents en participant ou en assistant à des "shows de boucane" ou des derbys de démolition.


Ces manifestations de violence ont surtout lieu dans les campagnes ou dans de petites municipalités en région. Il ne s'agit plus seulement de jeunes en peine de leur peau et de leurs dix doigts qui s'excitent au fond d'un rang ou sur un terrain de stationnement en faisant crisser les pneus de leur bagnole et en se ramassant parfois dans le fossé. Non, ce sont maintenant des spectacles organisés par des gens dans la quarantaine ou dans la cinquantaine, qui retombent en enfance, dans le sens primitif et débile du terme. On assiste à des orgies de métal tordue, de bruit infernal, de violence barbare, de démonstrations de stupidité, d'émanation de gaz et de pollution, de boucane du diable, de caoutchouc brûlé, de colons en rut, acclamés par des foules trépignantes et hystériques. Les participants à ces grands-messes du crétinisme aigu justifient leur comportement de malades mentaux en plaidant que, à défaut de pouvoir le faire sur les routes, ils doivent "lâcher leur fou" ailleurs. Ces foires de "scrapage" de voitures-bulldozers sont des rendez-vous parfaits pour faire ce qu'ils rêvent souvent (en secret) de faire sur la voie publique. Et de toute façon, c'est tellement plate dans leur petit bled, ça leur donne une chance de tromper l'ennui en amusant le peuple désoeuvré.


Le pire, c'est que ces caves idiotifient et asphyxient leur marmaille dès le plus jeune âge en les faisant assister, en poussette, à ces festivals de "je-te-rentre-dedans-tu-me-rentres-dedans-tiens-toi" ! Croyez-vous vraiment que ces enfants deviendront des citoyens responsables et paisibles en cherchant à imiter leurs parents violents et pollueurs ? La violence engendre la violence, c'est bien connu. Ô adrénaline, que de conneries on fait en ton nom !

Encore pire que ça, l'abomination de la désolation c'est que des politiciens et des meneurs d'opinion publique, comme des animateurs de radio vedettes, joignent maintenant les rangs de ceux qui abêtissent la race humaine par leur délinquance condamnable. Sous prétexte de rejoindre leur électorat ou leur auditoire là où il se trouve, ces gens opportunistes, en mal de popularité, devraient plutôt être des exemples de personnes civilisées et non violentes, au lieu de se livrer à des actions dégradantes en s'en donnant à coeur joie dans ces oeuvres grotesques de destruction massive... Il faut être naïfs pour croire, qu'au sortir de ces séances d'éructations, de défoulement et d'énervement, les acteurs et les spectateurs qui y ont pris part se sentiront soulagés et satisfaits, et qu'ils ne seront pas portés à s'exciter lorsqu'ils prendront la route pour retourner chez eux. Parlez-en aux imitateurs de Gilles Villeneuve qui font des excès de vitesse et veulent dépasser tout le monde après chaque Grand Prix de Formule 1 de Montréal...

«L'ennui avec nos hommes politiques, c'est qu'on croit faire leur caricature, alors qu'on fait leur portrait.» - Sennep (Potins de la Commère)