jeudi 18 mars 2010

RAPAILLE DÉRAILLE À QUÉBEC...

Le grand spécialiste du marketing/branding, le Dr Clotaire Rapaille (photo), a récemment soulevé une controverse en raison des propos "épicés" qu'il a tenus sur la ville de Québec et ses habitants. En début d'année, le maire de la capitale du Québec, Régis Labeaume, lui a confié le mandat de "rajeunir" l'image de la ville car il estime que la désignation de "vieille capitale", qui s'est imposée d'elle-même au fil des ans, n'est pas adéquate et identifie mal la cité de Champlain fondée en 1608. Tout comme le Dr Rapaille, le maire Labeaume est un personnage haut en couleur, dont les jugements sont souvent tranchants. Ancien homme d'affaires, homme d'action, il n'aime pas les atermoiements et les tergiversations. Son expérience en entrepreneurship le rend sensible aux concepts de commercialisation, de rentabilité et de mise en marché qu'il désire insérer dans une nouvelle dynamique visant la renommée et la prospérité de "sa" ville. Dans ce contexte, et dans son optique, le titre de "vieille capitale" n'est pas assez "vendeur" pour positionner Québec sur l'échiquier mondial.

Des observateurs de la scène municipale, de même que plusieurs citoyens, sont loins d'être convaincus du bien-fondé de la démarche du maire. La résistance au changement fait partie de la nature humaine. Un autre groupe de résidents, (dont je fais partie), approuvent l'initiative du conseil exécutif de la ville (entièrement soumis au maire), mais sont loins de donner leur bénédiction au premier magistrat de la ville sur la façon et les moyens qu'il emploie pour parvenir aux résultats souhaités. D'abord, pour engager Rapaille, on a procédé arbitrairement, sans consultation, en contournant plus ou moins honorablement le processus d'appel d'offres. C'est la méthode Labeaume. Mener la ville comme une entreprise familiale, sans s'embarrasser d'un conseil d'administration (conseil municipal) et sans se faire mettre des bâtons dans les roues par des syndicats.


M. Labeaume (photo ci-dessus) ne cache même pas que la lourdeur bureaucratique l'exaspère et que les séances du conseil municipal lui semblent des pertes de temps. Il a horreur de devoir composer avec l'opposition et, puisqu'il est indépendant de fortune, il avait laissé savoir avant l'élection de l'automne dernier, que si la population ne votait pas massivement pour lui et son équipe, il abandonnerait et donnerait sa place à un autre. L'électorat a bien compris et seuls deux conseillers indépendants ont survécu au raz-de-marée Labeaume. Mais encore là, l'ambitieux maire aurait préféré ne pas avoir d'opposition du tout. D'ailleurs, dès la première séance du conseil, qui a suivi son "triomphe" électoral, le maire y est allé d'attaques mesquines à l'endroit d'un conseiller indépendant qui a le "tort" d'être un catholique pratiquant. Sur un ton sarcastique, M. Labeaume a dit se méfier des gens trop vertueux ou religieux. Une attitude, des allusions et des remarques inacceptables de la part d'un homme en charge d'une ville. Il a le devoir de représenter les Québécois et de donner l'exemple en matière de courtoisie, de "fair play" et de respect de la démocratie.

Le Dr Rapaille a hérité du contrat de près de $ 300 000 de la ville de Québec, probablement parce qu'il avait charmé son maire. Expert en "vente", le diplômé de la Sorbonne âgé de 68 ans est d'abord un maître dans l'art de vendre ses propres services. Verbo-moteur et s'échauffant facilement devant les caméras, comme M. Labeaume d'ailleurs, il a certes des atomes crochus avec lui. Mais de là à décrocher un tel contrat sans passer par le processus normal d'appel d'offres, il y a des limites. D'autant plus que les finances de la ville ne sont pas au beau fixe. En quelques mois, la dette municipale a doublé et on semble avoir perdu le contrôle sur les dépenses relatives à la masse salariale des employés et de leur extravagant régime de retraite. Dans la dernière crise financière internationale, qui perdure toujours depuis l'an passé, on a vu que des problèmes semblables ont acculé à la faillite de puissantes compagnies (ex., General Motors). Et des états entiers ont même perdu leur "gouvernail" en vivant au-dessus de leurs moyens et en basculant dans un gouffre financier ou un bourbier inextricable. On constate la situation budgétaire précaire de pays comme l'Islande, le Portugal, la Grèce, l'Italie et l'Espagne. Avant que la situation ne dégénère, la richesse collective est toujours invoquée comme contre-poids à l'importance du boulet de la dette publique. Jusqu'à ce que les bailleurs de fonds, prenant peur devant l'emballement de l'endettement, décide soudain de rappeller leurs prêts, et que, pour arriver à les rembourser, le pouvoir politique doive imposer des mesures coercitives de restrictions des dépenses qui touchent les citoyens et leur portefeuile.

De tels programmes d'austérité troublent à leur tour la paix sociale en provoquant la colère et la révolte des contribuables qui en ont assez de payer pour la maladresse, les mensonges et l'incompétence de dirigeants qui les font crouler sous le poids de lourds impôts, de taxes élevées et d'augmentations répétées de tarifs de tous genres. Nous sommes loins d'être à l'abri d'un tel scénario catastrophique même si la réputation de nos institutions n'est pas encore trop "écornée" aux yeux de nos banquiers.

Alors, quand un psychanaliste aristocratique français comme le Dr Rapaille vient faire son spectacle de voltige verbale en les flattant d'abord pour avoir leur argent, puis en les affublant de clichés ridicules sur leur identité, les gens de Québec ont bien raison de s'interroger sur tout ce cirque et sur la sagesse de leur maire qui a mis tout ce processus en branle au risque de devenir le dindon de la farce quand les projecteurs s'éteindront. Le slogan publicitaire que le Dr Rapaille doit trouver pour amener de l'eau au moulin "touristique" de la ville, a besoin d'être génial pour justifier l'argent (emprunté) qu'il aura coûté !

Et cette image synthèse qu'il livrera, et qui nous présentera à la "visite", devra être authentique. On ne peut usurper une identité. Elle doit être vraie même si on comprendra que lorsque l'on reçoit de la visite, on prend le soin de s'endimancher avant qu'elle arrive... Ce ne peut être la vision irréelle d'un maire, aussi bien intentionné soit-il, désireux de voir sa ville projeter une image rêvée, épousant son idéal commercial... Sinon c'est de la fausse représentation et le client risque de se plaindre et de faire de la mauvaise publicité quand il retournera chez lui. Ce qui est exactement le contraire de l'objectif visé. La capitale du Québec a suffisamment d'atouts à mettre en évidence pour ne pas en inventer qui seraient faux. De toute façon, beaucoup de spécialistes et de gens ordinaires ne pensent pas qu'une campagne publicitaire, aussi bonne soit-elle, puisse avoir un impact majeur pour attirer massivement des touristes dans une ville.

Devant les critiques et les cris des sceptiques, Clotaire Rapaille a paru étonné tout en soulignant qu'il préférait de loin avoir des réactions passionnées que de se heurter à un mur d'indifférence. Il a néanmoins senti la nécessité d'expliquer sa méthode de travail. Elle est éprouvée et a déjà porté fruits, mais elle n'est ni infaillible ni garantie. Là n'est pas le problème. Le malaise qu'il a créé émane des réflexions superflues qu'il a faites à mi-chemin de son mandat. On ne voit pas pourquoi il ressort ou ressasse ces histoires de relations sado-masochistes avec les anglophones, de complexe de porteurs d'eau sans envergure, de villageois souffrant d'un sentiment d'infériorité par rapport aux gens de Montréal, de racontars à propos de radios poubelles diffamatoires, du risque de vieillissement des citoyens québécois réduits à l'état de séniles mangeurs de poutine... Toute cette mise en scène et cette diarrhée verbale étaient inutiles et notre beau parleur aurait été mieux servi par une saine discrétion, du moins jusqu'à ce qu'il remette son rapport final. Rapport pour lequel nous avons chèrement payé mais que nous ne verrons peut-être même pas. Rapaille rebute généralement à révéler ses secrets. Il y a aussi la forte possibilité que la montagne ou l'éléphant Rapaille accouche d'une souris. Auquel cas, il aura roulé Labeaume dans la farine, et nous avec, sans que l'on ait un mot à dire.

J'interrogeais justement mon coiffeur aujourd'hui pour avoir une idée du sentiment populaire sur toute cette affaire. C'était l'unanimité chez ses clients : nous n'avons pas besoin de payer grassement un étranger, si illustre soit-il, pour qu'il vienne nous dire qui nous sommes et comment il faut mettre la ville en valeur pour attirer les touristes. La marque de commerce de Québec ne se trouve pas nécessairement dans les codes analytiques mystérieux et les formules magiques de Clotaire Rapaille. Après plus de quatre cents ans de vie dans ce pays, nous connaissons mieux que personne notre identité et ce qui est souhaitable pour la capitale dans l'avenir. Nous avons un office du tourisme, des professionnels compétents et des comités de citoyens qui peuvent faire le travail sans que ça nous coûte une cenne supplémentaire. Mais malheureusement pour nous, le maire Labeaume n'a pas confiance en nos employés et trouve les exercices démocratiques oiseux et ennuyeux. C'est toujours le danger de céder au chantage émotif d'un fort en gueule qui table sur ses réussites passées pour nous demander de signer des chèques en blanc. Vous le plébiscitez et après, il se croit tout permis. Comme s'il disait à "sa" ville : "sois belle et tais-toi".

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